Les mythes pédagogiques

 
Écrit par Françoise Appy   
Vendredi, 05 Octobre 2012

Tarsila do Amaral

Les mythes ne sont pas des mensonges ; ce sont des croyances adoptées en raison de leur apparente plausibilité. On les croit car ils ont une apparente cohérence avec certains faits. Mais bien sûr les mythes sont faux, en tout cas ils ne sont pas la totale vérité.
L’enseignement tel qu’il est pratiqué dans la plupart de nos écoles aujourd’hui repose sur des mythes. Pourquoi les gens les croient-ils ? D’abord, il s’agit d’un sujet fortement émotionnel car il touche aux enfants. Il est bien connu que les émotions empêchent  les gens de penser correctement et troublent leur pensée rationnelle. Ensuite, les idées autour de l’éducation font partie du conformisme incontournable autour d’une philosophie supposée humaniste, progressiste, tolérante et dont il fait mauvais remettre en cause les principes. Pour donner un exemple, qui oserait s’opposer au principe selon lequel l’école doit permettre l’épanouissement des enfants ? Qui serait opposé à l’idée séduisante que les enfants apprennent mieux en jouant qu’en travaillant ? Qui serait hostile à l’idée que les résultats scolaires ne sont pas aussi importants que l’estime de soi, laquelle en est complètement indépendante ?
Les mythes éducatifs sont entretenus par des groupes d’intérêt, qu’ils émanent des instances officielles, syndicales, des groupes de parents d’élèves ou tout autre lobby ayant des intérêts dans les affaires éducatives. La question éducative est un problème politique et elle est traitée comme tel, de la même manière que les autres questions dans tout gouvernement démocratique.
Quelques-uns de ces principaux mythes seront abordés ci-dessous, la liste n’est pas exhaustive mais elle est évolutive ; on constatera qu’ils ne s’appuient sur rien de tangible, c’est le propre du mythe comme de la croyance. En regard de chacun d’eux, une brève remarque et des références pour en savoir plus sur la question.

Lecture

« Commencer par l’enseignement du déchiffrage nuit à la compréhension du sens et éloigne les enfants de la lecture véritable. L’apprentissage systématique du déchiffrage est donc un obstacle à la lecture. »
C’est ignorer que la lecture repose sur deux éléments fondamentaux et indispensables :
un déchiffrage parfait et automatisé X la compréhension de ce qui est déchiffré
Si l’un des deux éléments manque, l’enfant n’est pas lecteur. Par conséquent, le déchiffrage est indispensable, l’enfant l’acquiert vite et bien par une méthode explicite et structurée (comme le montre la recherche : études expérimentales, sciences cognitives).  Mais l’acquisition du sens l’est tout autant. Elle se fait par un travail sur la maîtrise de la langue orale parlée et comprise, sur la syntaxe, sur le lexique, sur la culture générale.

Créativité

«  Une méthode pédagogique qui ne passe pas par la découverte, (c’est-à-dire une méthode de transmission directe des connaissances et habiletés) inhibe toute créativité chez l’enfant. »
Cela, et c’est le propre du mythe, ne repose sur aucune observation tangible : en effet, aucune étude n’a jamais observé ni mesuré la créativité des élèves en fonction des méthodes pédagogiques qu’ils ont suivies. De plus, il révèle une ignorance de ce qu’est vraiment la créativité sur un plan cognitif, et part du principe que celle-ci constitue l’aptitude à créer tout seul, à partir du néant, pour peu que l’on soit mis dans une situation propice (la découverte).
Ce sont les sciences cognitives qui nous permettent aujourd’hui d’affirmer que non seulement cela est faux, mais de plus ce sont les méthodes explicites et directes ayant pour souci que les élèves acquièrent un certain nombre de connaissances et habiletés de manière durable, qui permettent une plus grande créativité. Les méthodes par découverte, qui se vantent de favoriser l’esprit créatif (sans que jamais personne ne l’ait observé), demandent aux élèves de créer des nouveautés mais ne leur fournissent pas les matériaux de base. Par exemple, on demandera de construire un  algorithme de résolution d’un problème sans veiller à ce que l’élève possède les connaissances mathématiques pour le faire. Il s’appuiera alors sur le principe cognitif du hasard comme principe de genèse : sans connaissance pour résoudre un problème, la seule solution est d’essayer au hasard une opération parmi plusieurs, mentalement ou physiquement, et de déterminer son efficacité. C’est une manœuvre coûteuse en charge cognitive.  De plus, elle aboutit à des impasses, à des cheminements cognitifs aberrants, à des erreurs qui risquent de s’incruster : rien qui ne garantisse une meilleure compréhension du sujet, ni une meilleure créativité.
Les travaux faisant date sur la question sont ceux de Weisberg, de Sweller, De Groot, pour citer les plus marquants.
Que se passe-t-il dans le cerveau des créateurs, des experts, des artistes ? Qu’il s’agisse de peintres, de musiciens, de danseurs, de joueurs d’échecs, les chercheurs ont constaté que leur créativité repose sur un grand nombre de connaissances stockées dans leur mémoire à long terme, un bagage culturel dépassant et de loin, celui du commun des mortels associés à un grand stock d’expériences et de pratiques.  Ce stock, disponible à tout moment, va leur permettre de réaliser une infinité de combinaisons qui seront autant de créations nouvelles. Le potentiel de créativité des élèves est donc limité par les informations ou connaissances qu’ils possèdent. La créativité est ainsi liée à l’expertise dont on sait maintenant qu’elle est entièrement dépendante du contenu de la mémoire à long terme : la créativité a besoin de s’appuyer sur des connaissances, des expériences, une pratique intensive.
Il est donc de la responsabilité de l’enseignant, et en particulier de celui du primaire de fournir tout cela aux élèves de manière efficace et durable au lieu d’attendre que la créativité surgisse du néant. En ce sens on peut affirmer que l’enseignement explicite est une méthode pédagogique qui permet la créativité tout comme la pensée critique, qui relève du même principe. Bien d’autres méthodes dont le but affiché est un développement créatif n’y sont jamais parvenues.

Styles d’apprentissage

« Chaque enfant possède une modalité d’apprentissage qui lui est propre (auditive, visuelle, kinesthésique) et l’enseignant doit adapter sa pratique au style de chacun. »
 
Ce principe, largement admis, ne s’appuie sur aucun fondement solide. Comme c’est souvent le cas, il part d’une chose vraie, mais en fait une extrapolation erronée. En effet, il est vrai que nous avons tous des modalités dominantes, la science cognitive l’a montré. Mais en conclure que l’on apprendra mieux si l’enseignant calque sa pratique sur le mode dominant est non fondé et non prouvé. Ainsi on passe de l’hypothèse à la conclusion en sautant toutes les étapes intermédiaires.
Que disent les sciences cognitives sur la question ? Les souvenirs sont conservés en termes de sens et non selon leur modalité d’acquisition. Un même souvenir peut être retenu sous diverses formes. Mais un souvenir stocké selon une représentation spécifique, par exemple auditive, ne retiendra que l’aspect auditif du sujet. À l’école, le but est de retenir le sens des choses, et non pas seulement un aspect particulier. C’est pourquoi on ne peut s’appuyer sur les modalités dominantes : ce serait retenir une information partielle. La leçon à tirer est que l’enseignant devra s’appuyer sur la modalité de son sujet et non sur celle de l’élève. Par exemple en histoire des arts, on s’appuiera sur la modalité visuelle. Mais étant donné que de nombreux sujets ont plusieurs accès, l’enseignant devra utiliser plusieurs approches afin d’optimiser la mise en mémoire à long terme de l’information.

Les élèves s’ennuient à l’école

Voici une observation récurrente si l’on en croit les journalistes. Pour y répondre, on nous explique en général que l’école est ennuyeuse car pas assez ludique et trop éloignée des centres d’intérêt des élèves. Par conséquent, les enseignants devraient introduire dans leurs pratiques plus de jeu, de fantaisie et penser davantage au plaisir des élèves. Fin de l’analyse.
Qu’en est-il vraiment ?  L’ennui à l’école existe bel et bien. Mais l’enfant, comme l’adulte, s’ennuie dès lors qu’il ne comprend pas ce qu’on lui demande ou quand il n’a pas les moyens de faire ce que l’on attend de lui. Il s’ennuie (comme nous nous ennuyons aussi) quand il est inactif cognitivement. Les pratiques constructivistes ont une lourde responsabilité dans ce problème. En effet, les situations de découverte, tout comme l’entrée directe dans la complexité sont de nature à laisser de côté un grand nombre d’élèves, ceux qui ne maîtrisent pas les connaissances préalables qui leur permettraient de découvrir ce que l’on attend d’eux. Un élève qui décroche s’ennuie et l’on obtient vite une classe agitée à défaut d’avoir une classe active.
Autre croyance erronée, la motivation. On dit parfois que les enfants ne font bien que ce qui les motive naturellement. Or, dans l’école rien n’est naturel, par définition. Si l’on veut faire de l’école un lieu destiné à assouvir les besoins et plaisirs naturels de l’enfant, on s’éloignera bien vite des apprentissages scolaires. Cela ne veut pas dire que l’école est un lieu de souffrance, ni un lieu désagréable, bien au contraire. C’est un lieu nouveau pour l’enfant, qu’il va apprendre à connaître et à apprécier. L’école va lui faire découvrir un plaisir nouveau, différent de ceux qu’il connaît déjà, celui d’apprendre. C’est le rôle de l’enseignant de l’initier à ce nouveau plaisir.
Dans ce mythe s’inscrit une autre contre-vérité : celle de l’utilisation du jeu comme étant le meilleur vecteur des apprentissages. Bien sûr, on peut utiliser le jeu à l’école, en particulier avec les tout petits, dans des buts de pratique et d’entraînement. Néanmoins, rien n’a encore montré que l’on apprenait mieux en jouant. Par contre, on sait aujourd’hui avec certitude quelles méthodes pédagogiques sont les plus efficaces pour les apprentissages.
Les classes explicites ne connaissent pas l’ennui ni la démotivation des élèves, non parce que les enseignants ont quelque pouvoir supérieur ou quelque personnalité hors du commun, mais simplement parce la structure pédagogique explicite fait en sorte que tous les élèves soient actifs cognitivement. Comment ?
1. La clarté de l’enseignant.
 
Plusieurs études ont montré que c’est un élément crucial. Cela consiste :
  • à s’exprimer clairement,
  • à aller directement au but, sans digression,
  • à ne pas utiliser d’expressions vagues,
  • à donner des exemples clairs et significatifs,
  • à présenter l’objectif d’apprentissage clairement et à le traduire en tâche (« à la fin de la leçon vous serez capables de faire ceci… »).
2. Une allure adaptée.
 
On croit souvent, en particulier lorsque l’on débute, qu’une allure lente favorise la compréhension. Cela est faux ; une lenteur excessive favorise le décrochage de certains élèves. Le rythme ne doit être ni trop rapide, ni trop lent. Quels principes pour trouver la bonne allure ?
  • Respecter la capacité d’attention des élèves (entre 15 et 20 minutes max en cycle 3)
  • Faire participer tous les élèves
  • Donner suffisamment de temps pour la réflexion lorsque l’on pose des questions (QVC)
  • Maintenir l’intérêt des élèves : ménager du suspens, avoir de l’humour, éviter les temps morts qui cassent le rythme, soigner les transitions (qui doivent être rapides)
  • Utiliser les routines qui permettent d’optimiser le temps
  • Donner des défis (qui doivent rester atteignables)
  • Rester sur l’essentiel par rapport à l’objectif
  • Varier les modes de réponse : réponses actions, chorales, avec ardoises …
  • Donner une rétro-action simple et brève
3. L’enthousiasme de l’enseignant.
Là aussi, les données probantes ont montré que les élèves bénéficiant d’un enseignant enthousiaste réussissaient mieux. Cela est vrai en particulier pour les élèves en situation d’échec.
Comment faire ?
  • Proposer un contexte amusant.
  • Proposer des défis (atteignables).
  • Susciter la curiosité.
  • Rendre les leçons concrètes et leur donner sens.
  • Susciter l’intérêt sur le sujet.
Mais aussi :
  • Avoir un débit oral assez rapide (mais pas trop) et non monotone.
  • Utiliser les gestes pour accentuer certaines choses.
  • Utiliser aussi son corps.
  • Utiliser les expressions faciales pour signaler l’importance, l’intérêt ou pour susciter l’attention.
  • Accepter les idées et remarques des élèves avec intérêt.
  • D’une manière générale, manifester que l’on prend plaisir à ce que l’on fait.
4. Le renforcement positif.
 
Il a été observé que le renforcement positif et les encouragements systématiques améliorent l’estime de soi, favorisent les apprentissages et par conséquent contribuent au plaisir d’apprendre chez les élèves. Ce faisant, ils luttent aussi contre l’ennui et la démotivation. C’est un stimulus intervenant après une réponse correcte et favorisant l’apparition d’une autre réponse correcte. Le renforcement positif doit être quatre fois plus important que le renforcement négatif.
Comment faire ? Cela peut être une phrase de compliment ou juste un petit mot. Mais aussi un renforcement non verbal tel qu’un geste, une tape sur l’épaule, un clin d’œil, un pouce en l’air… On peut aussi utiliser les récompenses tangibles ou renforcement matériel, en particulier dans les petites classes ; cela a un impact direct sur la diminution de comportements déviants mais aussi sur l’assiduité et l’estime de soi.
Il ressort de tout cela que l’ennui à l’école n’est pas une fatalité. Pour s’en débarrasser, il faudrait que l’école accepte d’assumer son rôle : celui d’instruire les élèves, tout en étant persuadée que les apprentissages scolaires peuvent se faire dans le plaisir, même s’ils exigent de la part des élèves des comportements nouveaux. L’école est là pour élargir les horizons du quotidien et du vécu des élèves. Cela est possible en privilégiant les méthodes pédagogiques dont la conception tient compte des différents éléments énumérés ci-dessus, qui ont une efficacité avérée.

 

A propos stevebissonnette2012

Monsieur Steve Bissonnette est professeur titulaire au Département d'éducation de la TÉLUQ. Il a également été professeur et directeur adjoint au Département de psychoéducation de l'Université du Québec en Outaouais (UQO) au campus de Saint-Jérôme. Son domaine de spécialisation est l'intervention en milieu scolaire. Il a travaillé, pendant plus de 25 ans, auprès des élèves en difficulté et du personnel scolaire dans les écoles élémentaires et secondaires ainsi qu'en Centre Jeunesse. Le professeur de la TÉLUQ s'intéresse aux travaux sur l'efficacité de l'enseignement et des écoles, à l'enseignement explicite, à la gestion efficace des comportements ainsi qu'aux approches pédagogiques, fondées sur des données probantes, favorisant la réussite des élèves en difficulté. Monsieur Bissonnette est le premier chercheur canadien dont les travaux portent spécifiquement sur l’implantation du modèle de réponse à l'intervention comportementale le Soutien au Comportement Positif (SCP) ou Positive Behavioral Interventions and Supports (PBIS) dans les écoles francophones, et ce, depuis 15 ans. Le chercheur et son équipe ont implanté le SCP dans plus de 30 % des centres de services scolaire du Québec. De plus, le chercheur Bissonnette collabore avec l'Université de Liège et celle de Mons à la mise en oeuvre du SCP dans les écoles belges. Fait à souligner, le SCP implanté à la commission scolaire des Laurentides, avec l'équipe du professeur Bissonnette, s'est mérité en 2019 le prix du ministère de la Famille « Ensemble contre l’intimidation, catégorie milieu scolaire ». Le professeur de la TÉLUQ a prononcé plus de 700 communications en éducation et a participé à la rédaction de plus de 80 publications sur le thème de l'efficacité de l'enseignement et des écoles, dont son dernier ouvrage Enseignement explicite et données probantes : 40 stratégies pédagogiques efficace pour la classe et l'école (2023) qui est le référentiel utilisé pour la réforme scolaire du Maroc. Monsieur Bissonnette a reçu, des étudiants en psychoéducation de l'UQO au campus de Saint-Jérôme, une mention d'honneur pour la qualité de son enseignement ainsi qu'une mention d'honneur décernée par la TÉLUQ pour sa contribution au développement de l'université dans la catégorie Excellence en enseignement.
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